mardi 27 septembre 2011

RENCONTRE AVEC YANN SAMUELL

YANN SAMUELL
Scénariste et réalisateur




Comment avez-vous réagi lorsque que l’on vous a proposé 
d’adapter La Guerre des boutons ?

Je me suis immédiatement dit : « Attention classique », d’autant que parmi les quatre précédentes adaptations cinématographiques, celle d’Yves Robert est passée à la postérité. Sur les quatre films que j’ai réalisés, trois abordent le thème de l’enfance : la réconciliation enfant/adulte avec L’ÂGE DE RAISON; la persistance de l’enfance sur une vie adulte avec JEUX D’ENFANTS; et même l’après-vie d’un enfant fantôme avec THE GREAT GHOST RESCUE, en cours de finition. Il me fallait conclure dans un ultime opus : la république des enfants. 
Comment les enfants perçoivent-ils la responsabilité, la société et l’égalité ? Et puis un autre thème préside à la construction de l’ensemble de mes scénarii : la féminité. Armé de ces deux flambeaux, j’ai immédiatement eu la vision claire de ce que pourrait être la trame de mon adaptation de La Guerre des boutons : un film jubilatoire, un souffle de liberté. Restituer à l’enfance le goût des plaisirs authentiques au contact d’un monde que seule leur volonté et leur candeur façonnent… Ce projet semble trouver un écho très personnel en vous…Je souhaitais un film vrai, qui parle de la réalité d’une vie d’enfant à la campagne. 
J’ai réellement vécu « ma » guerre des boutons aux côtés de mes cousins dans un petit village de Bourgogne. Avec le plus grand sérieux, on échafaudait des plans pour combattre nos ennemis de l’autre bout du village. Même si nos batailles avaient le goût épicé du jeu, chaque assaut était sincère. On se battait ! C’est cette dualité de l’enfance que je voulais mettre en avant. 

Comment avez-vous procédé à l’adaptation ?

C’est un roman très agréable, le langage y est rabelaisien et osé. Refaire une adaptation n’avait de sens qu’à condition de parler à mes contemporains. Je suis remonté à l’essence du texte tout en y ajoutant des thèmes et une façon de fonctionner beaucoup plus actuelle.
Il me fallait un personnage féminin fort : une fillette qui se bat contre les moulins à vent du sexisme. Et d’autre part, un personnage principal tiraillé entre ses responsabilités sociales, scolaires, familiales et son rêve d’une société idéale à sa mesure.

Pourquoi avoir choisi de situer votre histoire dans les années 
1960 ?

Cette période me permettait d’explorer la mise en abyme de la guerre. Je ne pouvais pas l’imaginer pendant la période d’occupation des années 1940. 
Mon père a vécu l’occupation à cet âge et ma mère a connu l’exil et les camps : leur première préoccupation était survivre. Ils n’auraient pas fait une fausse guerre. J’ai donc choisi la guerre d’indépendance d’Algérie comme arrière-plan – évènement suffisamment lointain pour ne pas altérer le ton vibrant de vie du film, mais cependant bien présent. Ailleurs, d’autres gens se battent pour leur indépendance, tandis qu’au village de Longeverne, les enfants mènent une révolution contre les diktats de la famille et de la vie rude à la campagne. Les années 60, c’est aussi la déferlante du rock’n’roll, la conquête de l’espace, on assiste à des progrès colossaux en médecine et dans l’industrie. J’aimais cette notion d’une société légèrement archaïque qui 
se retrouve confrontée de plein fouet au XXe siècle. 

Pensez-vous qu’aujourd’hui les enfants aient la même façon 
de se construire ? 

L’idée d’une congrégation d’enfants face au monde adulte, reste quelque chose de très vrai. Le statut d’adolescent, voire de pré-adolescent, était inconnu à l’époque. L’accession à la majorité - alors fixée à vingt et un ans - et la conscription représentaient les seuls rites initiatiques. Maintenant, il y a plein de petits rites - passage au collège, téléphone portable, passage au lycée, bac, permis de conduire. À l’époque, les enfants se construisaient donc eux-mêmes leurs rites, qui, une fois franchis, leur permettaient de faire partie du clan.

Comment avez-vous choisi les comédiens qui entourent les 
enfants ?

Eric Elmosnino est un comédien que j’aime et que je suis au théâtre depuis longtemps. Il assimile tout ce que vous lui dites et nourrit son personnage d’indications qu’il réinvente au fur et à mesure. Cette richesse, cette force de proposition est merveilleuse. 
Mathilde Seigner m’a demandé pourquoi j’avais pensé à elle pour ce personnage. J’aime proposer aux acteurs autre chose que ce qu’ils ont déjà fait. La mère de Lebrac est une femme fermée, froide, peu généreuse alors que Mathilde est plutôt l’opposé dans la vie. Je pensais que si elle arrivait à contenir cela derrière un mur, elle pourrait en faire un personnage à fleur de peau mais bridée par son éducation campagnarde et sa situation de mère célibataire. 
La personnalité d’Alain Chabat m’intéressait forcément, et encore plus dans le rôle de cet instituteur ennemi qui dépasse ses apparences. J’étais persuadé qu’Alain et Eric formeraient un grand duo de cinéma. Leur complicité et l’alchimie entre eux a été telle que je n’ai pas arrêté de rajouter des scènes, comme celle du concours de ricochets. J’adorerais tourner un film où ils seraient tous les deux de bout en bout ! Fred Testot était très enthousiaste à l’idée d’interpréter un curé. On pouvait imaginer ce curé de différentes manières mais je le voyais progressiste. 
C’est lui qui insuffle un vent de modernité et fait rentrer le XXe siècle dans ce village paysan réactionnaire. Il me fallait donc un personnage toujours plein d’énergie.Tous les enfants du film sont des nouveaux venus au cinéma. 

Comment les avez-vous trouvés ? 

Nous sommes sur ce film depuis presque deux ans et nous avons commencé le casting très tôt. Je me suis très vite rendu compte que je ne trouverais jamais mes personnages dans les cours de théâtre. J’avais besoin d’enfants capables de grimper aux arbres, d’apprendre le langage de l’époque, d’assumer les cascades des batailles, de mener les vaches aux champs ou d’attraper et imiter les cris des oiseaux. Je suis donc allé chercher à travers toute la France des enfants qui venaient réellement de la campagne. Je n’ai pas voulu faire rentrer les enfants dans les cases préconçues d’un film idéal que j’aurais en tête. J’ai parié sur l’inverse : des enfants remarquables auxquels j’adapterais les personnages. Il s’agissait vraiment de ne pas dénaturer l’étincelle de l’enfance chez ces jeunes interprètes. Lebrac, joué par Vincent Bres, est un leader courageux et habitué à ne rien confier de ses doutes. Tout comme sa mère, il refoule tout ce qui est de l’ordre du sentiment au profit d’une autorité naturelle. Le personnage féminin, Lanterne, interprété par Salomé Lemire, rejette le schéma sexiste que l’époque impose. Ingénieuse, elle décale toujours son regard et  préfigure la libération de la femme.Grangibus - Tom Rivoire - et Tigibus - Tristan Vichard - sont deux frères. 
Le grand est, pour son plus grand malheur, tout le temps en charge du petit, véritable boule d’énergie à qui rien ne semble impossible.L’Aztec, joué par Théo Bertrand, représente le clan ennemi. C’est une force 
brute que nous comparions à un taureau pendant la construction de son personnage. Il est entouré de deux lieutenants qui sont davantage les têtes pensantes. 
Lacrique - Arthur Garnier - est une espèce de petit foufou. À la fois le plus grand des petits et le plus petit des grands, il joue sur les deux tableaux. Une rivalité amoureuse va conduire à une trahison. Bacaillé, incarné par Victor Le Blond, est réellement un type très honnête, qui va se retrouver piégé dans une situation qui lui échappe. Tous ont énormément progressé pendant cette expérience, en élocution, en maturité, en joie de vivre. Ce sentiment de solidarité, de république des enfants, a réellement existé sur le plateau et transparaît dans le film.

Comment travaillez-vous dans cet environnement humain 
particulier ?

Je m’efforçais de ne rien préétablir. Je faisais des répétitions sur le décor avec les enfants et je réagissais en fonction de ce que les enfants apportaient, leur  énergie, leur humeur. Certaines scènes devaient être conflictuelles mais ils arrivaient dans une telle complicité que je n’aurais pas pu leur demander de jouer le conflit. Alors, je tordais la scène et les dialogues, avec l’idée de servir l’histoire tout en respectant leur nature du moment. Le film y gagne énormément. L’authenticité des décors était importante également. La classe 
est un lieu essentiel mais leur espace d’expression est dehors, loin des adultes. On franchit le seuil de l’école et un monde de liberté s’ouvre à nous où ce ne sont plus les règles des adultes qui régissent nos vies, mais l’imagination. J’avais donc besoin d’une nature qui soit grande et universelle.

Comment dirigiez-vous ces comédiens à part ? 

Un enfant vient sur le plateau en ayant complètement oublié que c’est un métier, il sait qu’il n’est pas à l’école et ça c’est plutôt sympa. Tout en les dirigeant, j’essaie donc sincèrement d’être copain avec eux. Je parle aux 
enfants comme à des adultes. Au cours des répétitions, je leur demande comment ils ressentent la scène sur l’instant, sans rien leur imposer. L’acteur va donc me faire une proposition et je vais modeler cette matière pour qu’elle rentre dans la construction collective qu’est le film. Je devais capter les détails, le petit haussement de sourcil inattendu, le pied qui trébuche alors qu’il ne faudrait pas. C’est un tournage très particulier, ne serait-ce que par sa longueur puisqu’il a duré treize semaines, avec beaucoup de préparation en amont avec les enfants. En revanche, au niveau technique, on a cherché les supports de caméra les moins encombrants possibles. Il y a très peu d’accessoires. C’est une espèce de grande cour de récré où je lâchais les enfants qui décidaient de leur jeu.

Qu’avez-vous vu surgir au cours du tournage ? 

Tellement de choses ! C’est la première fois depuis que je fais des films que je suis ému comme un spectateur lorsque je vais en salle de montage. Les enfants, la nature, même la manière de filmer avec beaucoup de caméras portées, apportent une telle fraîcheur que j’ai presque l’impression de faire un documentaire. À chaque film, les personnages prennent corps et chair sans que l’on puisse vraiment l’anticiper. En tant que scénariste, on vit avec des personnages abstraits qu’il faut accepter de faire adopter par des comédiens. 
Je donne le bébé à un acteur qui en sera à jamais garant. C’est extrêmement émouvant.

Vous revisitez certaines scènes emblématiques, comme 
celle où les enfants se battent nus. Comment les avez-vous 
abordées ? 

Père de cinq enfants je soumets souvent mes idées à ce que j’appelle « mon audience test privée » : cette scène n’y a pas échappée. Ils étaient frustrés que dans les adaptations précédentes, cette séquence emblématique soit plus évoquée qu’explicitée. J’ai voulu la traiter plus frontalement sans pour autant montrer quoi que ce soit qui pourrait choquer. On a fait pousser un champ de blé qui arrive juste au-dessus de la ceinture des enfants. Pendant les trois jours qu’a duré le tournage de cette séquence, les enfants se sont éclatés !

Si vous ne deviez garder qu’un souvenir de cette aventure, 
quel serait-il ?

J’en ai trop pour n’en garder qu’un, mais je me souviens particulièrement d’un moment, en fin de première semaine de tournage. C’était pour une scène qui se déroule après la bataille dans les blés. Un mois plus tôt, 
en répétition, nous l’avions travaillé réplique par réplique. Ce jour-là, je leur ai demandé de jouer la scène d’une seule traite, dans la continuité, comme un plan séquence. Les enfants ont eu peur de ne pas y arriver mais après avoir passé ce cap, plus rien n’a été pareil. Quelque chose avait changé. 
Ils avaient pris confiance en eux. À partir de ce jour-là, le film a vraiment décollé comme je l’espérais. 

Qu’espérez-vous apporter au public ?

Un moment de bonheur qui rappelle que les ferments de tout individu se trouvent dans l’enfance et qu’il ne faut jamais s’en couper. Les racines de l’adulte plongent toujours dans ces premières années. Le film est avant tout une comédie très dynamique et drôle, mais l’émotion n’est jamais loin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire